Le Middle Market, nouvel eldorado du conseil en stratégie ?
- Jérémy
- 16 mai
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 31 juil.

Un segment longtemps négligé, désormais convoité
Traditionnellement focalisé sur les grandes corporations du CAC 40 ou les multinationales dotées de budgets à plusieurs millions d'euros, le marché du conseil en stratégie connaît une véritable inflexion. Depuis quelques années, un nouveau terrain de jeu attire l’attention des cabinets : le Middle Market, cet ensemble d’entreprises de taille intermédiaire (ETI), ambitieux, agiles et souvent sous-exploités par les acteurs du conseil traditionnel.
Avec un potentiel estimé à plusieurs milliards d’euros en France et en Europe, cette clientèle auparavant jugée trop modeste ou trop risquée devient un levier clef de croissance pour les cabinets.
Un vivier d’opportunités stratégiques pour les cabinets
Les ETI — entreprises réalisant généralement entre 50 millions et 1,5 milliard d’euros de chiffre d’affaires — représentent le cœur du tissu économique français. Elles sont environ 5 800 en France, selon les chiffres de l'INSEE. Encore peu accompagnées dans leurs réflexions stratégiques, elles sont pourtant confrontées à des défis de plus en plus complexes : transformation digitale, croissance externe, internationalisation, décarbonation ou encore structuration post-hypercroissance.
Pour les cabinets de conseil, ces enjeux sont autant de portes d’entrée. Les dirigeants d’ETI n’attendent pas des slides théoriques, mais une approche sur-mesure, opérationnelle, ancrée dans une compréhension fine de leur secteur et de leurs contraintes spécifiques.
Une approche plus agile et pragmatique requise
Dans ce cadre, les géants du conseil (McKinsey, BCG, Bain…) s’aventurent prudemment sur le Middle Market, souvent à travers leurs entités spécialisées dans le « consulting en exécution » ou le « mid-cap strategy ». Mais ce sont surtout les cabinets multi-spécialistes ou de taille intermédiaire comme Eight Advisory, Kea & Partners ou PMP Strategy qui se positionnent en premières lignes, avec des offres ad hoc.
« Notre force, c’est de parler le même langage que ces patrons d’ETI, souvent fondateurs ou actionnaires majoritaires. Nous construisons la stratégie avec eux, mais surtout nous la mettons en œuvre dans la foulée », explique un associé d’un cabinet indépendant parisien. Cette proximité culturelle et cette approche pragmatique constituent un facteur clé de différenciation dans un marché exigeant réactivité et flexibilité.
Un repositionnement stratégique pour les cabinets
Cette stratégie d'investissement dans le Middle Market ne doit rien au hasard. Dans un contexte de ralentissement économique global et de saturation du marché corporate traditionnel, les cabinets cherchent naturellement de nouveaux gisements de valeur.
L’inflation, les hausses de taux et les incertitudes géopolitiques ont amené certaines grandes entreprises à ralentir leurs dépenses de conseil non essentielles. En parallèle, le marché des start-up, longtemps source d’opportunités pour les practices « Innovation » et « Scale-up », souffre d'une raréfaction des financements. Résultat : les entreprises de taille intermédiaire apparaissent comme un arbitrage naturel, à la fois stable, résilient et en quête d'accélération.
Des tickets projets plus faibles… mais une rentabilité intéressante
Certes, les budgets sont moindres que chez les grands comptes : un projet stratégique dans une ETI se situe souvent entre 80 000 et 350 000 euros, loin des millions injectés dans les programmes de transformation des multinationales. Mais les marges peuvent être intéressantes pour les cabinets bien organisés, avec des équipes plus resserrées, une exécution rapide, et des cycles de décision courts.
Le modèle économique est différent, mais la valeur créée peut être considérable : pour une ETI qui se structure pour doubler son chiffre d’affaires en trois ans, l’accompagnement stratégique est stratégique (au sens propre du terme).
Des implications profondes pour la profession
Ce mouvement en direction du Middle Market n’est pas une simple expansion de portefeuille. Il transforme en profondeur les pratiques de la profession. Le consultant en stratégie doit désormais endosser un rôle plus hybride : stratège, opérationnel, parfois coach de dirigeants. La logique de partenariat sur le temps long prévaut sur la logique de mission ponctuelle.
Les cabinets qui réussissent dans ce champ sont souvent ceux qui ont su combiner une expertise sectorielle pointue avec une capacité à exécuter. Ils recrutent moins de profils académiques standards et davantage de consultants expérimentés, en lien avec les réalités business de secteurs comme l’industrie, les services B2B ou l’agroalimentaire.
Une tendance de fond, pas un effet de mode
Tout porte à croire que le recentrage sur le Middle Market s’inscrit dans une dynamique durable. Selon plusieurs études de marché, la croissance du conseil en stratégie sur ce segment pourrait dépasser 10 % par an dans les cinq prochaines années, contre 3 à 5 % sur le segment corporate.
Signe d’un basculement en cours, plusieurs fonds de private equity, particulièrement actifs dans les ETI, intègrent désormais des consultants en stratégie dès la phase de due diligence, et en appellent à eux régulièrement pour accompagner les créations de valeur post-investissement. Les synergies entre le conseil, le capital investissement et le management opérationnel semblent s’intensifier.
Conclusion : vers une redéfinition du métier de consultant ?
L’intérêt croissant pour le Middle Market constitue bien plus qu’une simple évolution commerciale. Il révèle une mutation plus large du conseil en stratégie : un recentrage vers la valeur concrète, l’impact mesurable, et l’ancrage terrain.
Dans cette course à la pertinence, le cabinet capable d’ajuster ses méthodologies aux réalités des ETI prendra une longueur d’avance. À la croisée de la stratégie et de l’exécution, le Middle Market pourrait bien devenir le nouveau laboratoire du conseil de demain.




